Fribourg est prêt pour les éoliennes

Le feu est presque au vert pour la construction des premieres eoliennes fribourgeoises. Le Conseil federal a valide les zones choisies pour leur installation, mais rien n’est encore fait. Plusieurs etapes restent a passer

Article de NICOLAS MARADAN (La Liberté)

La Suisse compte 37 éoliennes. Et cinq de plus vont être mises en service ces prochaines semaines dans le massif du Saint-Gothard, côté tessinois. Et à Fribourg? Le feu est presque au vert pour la construction des premières hélices. En août, le Conseil fédéral a validé la délimitation des zones pour leur installation. «Il aura fallu vingt ans pour réunir toutes les conditions nécessaires à la réalisation des premières éoliennes du canton de Fribourg. Mais désormais, c’est fait», s’est réjoui hier devant les médias le conseiller d’Etat Olivier Curty.

Sept sites ont été retenus, même si tous ne seront pas forcément construits. Quatre d’entre eux ont le statut de «coordination réglée» et sont donc à un stade de développement plus avancé.

Le premier projet, c’est celui des monts de Vuisternens, qui prévoit la production de 36 à 42 gigawattheures (GWh) par année grâce à 6 ou 7 machines. Suivent le massif du Gibloux (48-72 GWh/an avec 8 à 12 mâts), la côte du Glâney (33-39 GWh/an avec 6 à 7 mâts) et les collines de la Sonnaz (33-43 GWh/an avec 6 à 8 mâts). Trois autres sites – Schwyberg, Surpierre-Cheiry et Autour de l’Esserta – ont seulement le statut de «coordination en cours». «Cela signifie que quelques compléments doivent encore être apportés au niveau de la planification afin de pouvoir passer en coordination réglée, ce qui pourrait être fait dans les années à venir», indique Serge Boschung, chef du Service de l’énergie.

Pour les quatre sites les plus avancés, rien n’est encore fait non plus. «Nous devrons mettre sur pied des comités de pilotage, des groupes de travail, mener des études d’impact. Cela va prendre du temps», explique Alain Sapin, directeur du secteur énergie électrique auprès du fournisseur d’énergie Groupe E, qui pilote les projets fribourgeois. Plusieurs étapes seront encore nécessaires, à savoir la modification de la planification territoriale des communes en question et la demande de permis de construire. A ce moment-là, comme pour toute mise à l’enquête, des oppositions pourraient être déposées. En tout, seize communes sont concernées pour les quatre premiers projets: Billens-Hennens, Siviriez, Ursy, Vuisternens-devant-Romont, Le Flon, Courtepin, Misery-Courtion, La Sonnaz, Belfaux, Sâles, Le Châtelard, Grangettes, Sorens, Villorsonnens, Pont-en-Ogoz et Gibloux.

Source complémentaire

«Avant l’an 2000, la Suisse était plutôt exportatrice de courant en hiver. Cela a changé. Nous sommes de plus en plus dépendants de l’importation pour couvrir nos besoins durant cette saison», souligne Markus Geissmann, de l’Office fédéral de l’énergie. Or, le pic de production des turbines correspond justement au moment où le solaire et l’hydraulique marquent le pas, à savoir entre les mois d’octobre et mars. «Le vent est donc complémentaire aux autres énergies renouvelables. D’ailleurs, j’ai pu m’en apercevoir personnellement car, depuis maintenant plusieurs semaines, les panneaux photovoltaïques que j’ai fait installer chez moi ont du mal à suivre», illustre Olivier Curty.

Directeur général de Groupe E, Jacques Mauron renchérit: «Aujourd’hui, nous avons de la production d’énergie toute l’année grâce aux centrales nucléaires. Mais les arrêter va engendrer un manque en hiver. Pour le combler, il y a deux solutions. Et nous aurons besoin des deux. La première, ce sont les gaz de synthèse, que ce soit l’hydrogène ou le méthane. Groupe E va d’ailleurs développer en 2021 une station de production d’hydrogène. Cela permettra par exemple de produire du gaz en été pour l’utiliser ensuite en hiver. Mais cela ne suffira pas. Nous aurons aussi besoin des éoliennes.» Alain Sapin ajoute: «Une éolienne de dernière génération produit 6 GWh par année, soit de quoi alimenter 1500 ménages. Pour atteindre une production similaire, il faudrait l’équivalent de cinq terrains de football de panneaux solaires.»

Système de dégivrage

D’après une enquête menée auprès de 800 personnes par l’institut M.I.S Trend pour Groupe E, 72% des répondants se déclarent favorables à la création de parcs éoliens dans le canton de Fribourg. Mais les hélices ont aussi leurs détracteurs. Certains leur reprochent leur proximité avec les habitations (500 mètres minimum) et le fait que beaucoup de sites se trouveraient en pleine forêt. Alain Sapin remarque: «C’est vrai qu’il faudra construire des routes d’accès et venir avec des grues gigantesques pour monter ces machines qui feront 140 mètres de haut. Mais ensuite, durant l’exploitation, il n’y aura plus de transport lourd.» Il ajoute que les éoliennes peuvent être approchées sans danger. Mais des opposants dénoncent la présence possible de givre sur les pales qui, quand l’hélice tourne, pourrait être projeté à très grande vitesse vers le sol. Groupe E tient toutefois à rassurer: les éoliennes de dernière génération peuvent être équipées de systèmes de dégivrage. C’est pourquoi le fournisseur d’énergie juge aujourd’hui l’énergie éolienne incontournable. Il estime l’investissement total à environ 150 millions de francs, ce qui permettra à terme de couvrir plus de 10% de la consommation électrique totale du canton de Fribourg avec entre 150 et 196 GWh par an.

«L’électricité reste un produit commercial»

Le conseiller d’Etat Olivier Curty(photo Charles Ellena), chargé du dossier énergétique, est favorable à la construction d’éoliennes dans le canton de Fribourg. Mais il prévient: ce n’est pas le rôle de l’Etat de jouer les promoteurs.

Quand et où sera construite la première éolienne fribourgeoise?

Olivier Curty: Je ne peux pas encore le dire. La Confédération impose aux cantons d’inscrire dans leur planification directrice les périmètres pouvant être dédiés à l’éolien et à l’hydraulique. De plus, un objectif de développement éolien, avec une production de 160 gigawattheure, a été annoncé dans le cadre de la politique énergétique du canton de Fribourg, décidée en 2009. C’est pourquoi nous avons défini un certain nombre de périmètres permettant d’atteindre cet objectif. Mais ce n’est pas l’Etat qui va construire des éoliennes. Nous ne sommes pas des promoteurs, et l’électricité reste avant tout un produit commercial. Même si, le cas échéant, nous allons accompagner les projets qui seront lancés. Ceux-ci devront être inclus dans les plans d’affectation, qui sont du ressort des communes. Ensuite, chaque éolienne nécessitera un permis de construire, avec les voies d’opposition habituelles, comme d’ailleurs pour n’importe quel projet de construction.

Pourquoi ne pas simplement acheter du courant éolien en provenance de pays voisins, où il y a déjà beaucoup d’installations?

Transporter de l’énergie n’est pas aussi simple que ça. Pour amener du courant depuis l’Allemagne, par exemple, il faut des lignes électriques à haute tension. Or, le réseau allemand est déjà congestionné. A l’heure actuelle, il n’est ainsi pas possible d’acheminer l’électricité produite par les éoliennes situées dans le nord vers le sud du pays. L’hiver dernier, le sud de l’Allemagne a dû être alimenté par des centrales à gaz autrichiennes. Et nous n’allons pas pouvoir dire aux Allemands de construire de nouvelles lignes électriques chez eux afin d’alimenter la Suisse, tout ça parce que nous ne voulons pas d’éoliennes chez nous. Et puis, si nous avons le potentiel pour produire de l’énergie renouvelable chez nous, pourquoi ne pas le faire? Cela permet aussi de consommer local.

Certains sites retenus pour les éoliennes hébergent des chauves-souris, des milans royaux ou encore des tétras-lyres. Qu’adviendra-t-il d’eux?

Des études ont été menées par rapport à l’impact environnemental des éoliennes sur la faune. Et des solutions techniques existent pour permettre d’anticiper le passage des oiseaux, notamment des oiseaux migrateurs. Les éoliennes peuvent ainsi s’arrêter automatiquement dans un délai de quelques secondes. Des analyses ont montré que le nombre d’animaux tués par des éoliennes est très faible. Pour les oiseaux, les collisions avec les voitures ou les vitres représentent un risque bien plus important.

Qu’en est-il du cas particulier du site du Schwyberg, au-dessus du lac Noir?

Le projet a été en quelque sorte rétrogradé au statut de «coordination en cours». Nous en prenons acte. D’autres sites sont aujourd’hui plus avancés, avec le statut de «coordination réglée». C’est sur eux qu’il faut d’abord miser. Concernant le Schwyberg, le Tribunal fédéral avait dit qu’il n’y avait pas assez d’études menées par rapport aux mesures de compensation. Mais ce sont des questions qui ne sont pas de notre ressort. De notre côté, nous avons fait notre travail de planification. La question des compensations concerne directement le développeur du projet (en l’occurrence Groupe E, ndlr), qui devra faire le nécessaire. Le cas échéant, le canton pourra faire repasser le projet en «coordination réglée», avec l’accord de la Confédération.

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